Il n’y a véritablement de l’Humain que lorsque, au delà des puissances de vie et des processus d’intégration sociale et culturelle, l’homme est le lieu de surgissement d’une pensée et d’une volonté libre.
Le travail n’est plus alors l’exercice de l’activité de l’homme comme une dure nécessité qu’on subit, ou pour acquérir et accumuler des richesses, mais exercice de développement de sa propre personnalité et de toutes les virtualités qu’elle renferme.
L’Homme ne naît pas être achevé, mais comme un champ de richesses cachées devant se cultiver lui-même, et c’est par le travail que l ‘Homme advient, grâce à cet outil de développement par lequel il est essentiellement inventif, artisan et créatif.
C’est la liberté qui fonde la dimension véritablement humaine du travail, bien plus encore que le travail ne permet la liberté.
Certains hommes ont pu s’emparer d’autres hommes pour les mettre au travail, comme on met au travail l’âne ou le boeuf, ceci est servitude; et on peut analyser de la même manière beaucoup de situations actuelles, étant donné que celui qui travaille en échange de l’argent qu’on lui donne peut toujours se considérer comme « asservi », du fait même qu’il ait à se « vendre ». En effet, « volé » ou « acheté », le travail humain approprié par un autre est une aliénation.
Le travail est fondamentalement l’acte par lequel l’homme instrumentalise une partie de sa raison. Cela signifie que le travail transforme d’abord l’homme lui-même, et l’homme acquiert ainsi une puissance qu’aucun animal n’a pu obtenir.
Cette puissance ne tient pas à tel ou tel instrument qu’il doit fabriquer, mais à la transformation de lui-même que cette fabrication produit. Mais l’homme peut être tenté d’instrumentaliser tout son psychisme et de se transformer lui-même en « outil » de lui-même. C’est un dérèglement de la raison aveuglée par l’appétit de puissance. Il est si fort et si universel que l’on peut dire qu’alors le sens même du travail est perdu dans une catastrophe intime où l’homme s’auto-asservit. Et cela se retourne ipso facto contre l’autre homme, dans la tentation.de se servir de l’autre et de l’instrumentaliser pour son usage propre de plaisir ou de puissance. L’homme devient alors quasi naturellement esclavagiste et non moins consentant à la servitude pour lui-même, espérant ainsi « tirer profit du système ».
Ce consentement ne va pas sans une souffrance secrète, intime, et une intime révolte. Désormais le travail paraîtra comme une peine, pas simplement physique, mais morale, un asservissement. Cela est si intimement perçu qu’on a pu faire des « camps de travail”.
La seule règle à respecter pour ne pas aboutir à de telles aberrations (dont font partie beaucoup des aberrations de nos sociétés capitalistes libérales actuelles) est simple. Il suffit de ne pas vouloir instrumentaliser toute la psyché rationnelle, pour en respecter la véritable nature et restituer ainsi sa véritable finalité au travail.
La raison a une autre possibilité, qui est la faculté de comprendre, de goûter et de contempler le Vrai, le Beau et le Bon.
Soit le désir de l’homme porte sur un objet arbitrairement désigné par la puissance instrumentale de la raison et seule la nécessité biologique ou l’appétit de puissance demeurent pour mouvoir au travail…(et surtout les autres parce que c’est devenu pénible!)Soit le désir porte sur le véritable objet du désir qui est la connaissance du Beau, du Vrai et du Bon, et alors le travail est le chemin de l’accomplissement de l’essence humaine.
Il va de soi que pour qu’il en soit réellement ainsi, il faut que le travail que l’homme est appelé à accomplir ne l’asservisse pas, ni objectivement ni subjectivement, et que les actions appartenant au processus du travail servent à la réalisation de son humanité, à l’accomplissement de sa vocation humaine, celle d’être une personne. D’où une valeur éthique du travail, liée au fait que c’est une personne humaine en voie d’accomplissement de sa propre humanité qui travaille. Le but du travail est l’homme lui-même, aussi ne peut-il jamais être considéré comme un instrument de travail ou de production.
Cela s’inscrit évidemment en faux contre toute l’idéologie économiste actuelle, qu’elle soit capitaliste ou socialiste. Un changement radical de mentalité dans tous les membres de la société permettrait seul les réformes pour que le rapport au travail soit juste pour chacun et pour l’ensemble de la société. Si l’homme se conçoit lui-même comme instrument de production, quand bien même il ne travaille pas pour autrui (pour un employeur) mais » à son compte », il tombe esclave de son propre désir et de sa propre erreur.
N’est-ce pas là cette Egypte Pharaonique dont veulent nous délivrer les mythes hébreux de la Pâques, c’est-à-dire du Passage de l’oppression esclavagiste à la Liberté personnelle?
Si, comme nous le prétendons, le travail humain n’a de sens qu’en fonction de l’unité de l’être humain il s’ensuit que sans travail! il n’y a pas de contact réel avec le monde, et il s’opère alors une déréalisation de la vie psychique; le chômage est un malheur intrinsèque, et les secours ne suffisent nullement à remplacer le manque de travail; sans parler de la dévalorisation de l’image de soi et de la perte du lien social que les intéressés ne cessent de souligner et de clamer dans les divers interviews télévisés.
Beaucoup de gens « employés » et « rémunérés » par quelque grande entreprise ou administration sont pourtant réellement au « chômage », et d’autres travaillent réellement sans être rémunérées, comme par exemple les mères de famille; l’unité personnelle d’un homme ne peut se concevoir en dehors de l’unité des hommes entre eux; aussi le travail est à considérer comme un aspect de la relation interhumaine, et le tissu même de la famille humaine.
Le travail ne peut être humain que si l’on atténue puis supprime la concurrence au profit de la collaboration solidaire, et de la complémentarité des dons, des compétences, des ressources et des savoirs faires; la véritable hiérarchie est contraire à l’esprit de concurrence et de compétition, et la compétition scolaire est déjà la mise en place des processus de guerre économique et de conquêtes des marchés.
L’éducation scolaire est une instruction scolaire doublée d’une éducation à la rivalité, et non à la complémentarité .
On voit bien là que l’humanité, dans son organisation socio-économique à l’échelle mondiale, en est encore à une étape de combats de hordes de l’âge de pierre, où la devise est du « chacun pour soi », avec quelques « bonnes-œuvres pour apaiser la conscience « de quelques journalistes; d’ailleurs, encore récemment, le PDG très connu d’une grande multinationale proclamait bien haut aux élèves de l’Ecole Polytechnique de Paris que pour « réussir » on n’avait besoin que « des maths et de l’anglais »!
Foin donc de la psychologie, de la sociologie, de l’éthique, de la philosophie, de l’anthropologie et de la métaphysique, et prosternons nous devant les statistiques et les ordinateurs.