Posted by admin On octobre - 11 - 2010 0 Comment

Réflexions à partir du dialogue de Jésus avec Pilate en Jean 18,28-19,16

Dans mon bureau de thérapeute je me dis souvent en écoutant les gens : mais qui parle en lui quand il dit ça ?…La question, si je la pose, entraîne les personnes qui sont en recherche de vérité sur la voie de leur différenciation et de leur libération. Et cette interrogation, je la retrouve au début du long dialogue de Jésus avec Pilate. « Dis-tu cela de toi-même ? » Qui parle quand tu parles ? Est-ce bien toi ou quelqu’un d’autre dont tu n’es pas séparé ? De quel lieu intérieur me parles-tu ?

La séparation est un thème qui parcourt toute la Bible depuis la Genèse où Dieu « sépara la lumière et les ténèbres » jusqu’à la fin de l’Évangile de Mathieu où « le berger sépare les brebis des boucs ».Le premier et dernier geste de Dieu est un geste de séparation. Le mot « saint » lui-même signifie, en hébreu comme en grec, séparé c’est-à-dire non confondu avec ce qui n’est pas lui. Il faut préciser que séparation n’est pas exclusion, ni rejet, ni division (c’est le diable qui est le diviseur, le diabolos), ni notre moderne individualisme, ni disparition. La Bible nous montrera qu’elle est une mise à part, une naissance, différenciation, distinction, discernement, libération, vie et fécondité.

Quelle vérité sur l’homme et sur Dieu nous livre donc cette notion de séparation ? Le mot vérité, aletheia, en grec a le sens de non-oubli. De quoi faut-il donc se souvenir pour être homme en vérité, pour être un Vivant (Le Léthé, en Grèce antique, est le fleuve où les âmes des morts perdent le contact avec ce qu’elles étaient) ?

Dans le texte de saint Jean trois questions vont étayer notre propos.

Jésus comparait devant Pilate. La première question est celle de Jésus. « Tu es le roi des juifs ». Jésus répond : « Dis- tu cela de toi-même ou d’autre que l’ont-ils dit de moi ? ». Il cherche ainsi à séparer son juge de ses préjugés et des influences étrangères. Il veut que Pilate parle en son propre nom car pour dialoguer il faut être deux ! Il veut le rencontrer vraiment, l’entendre au-delà de son histoire, au-delà de la représentation qu’il a de lui-même. Il le reconnaît ainsi capable de vérité et capable d’assumer les différences d’opinions, donc de faire une paix basée sur la vérité. Hélas Pilate se décidera en fonction d’une paix civile provisoire ! Avec ce païen comme avec tous ses interlocuteurs, Jésus appelle à un « courage d’être » (C. Théobald), à une capacité de s’impliquer, il attend le « Je » de l’autre, c’est-à-dire que se révèle en tout homme « le Fils de l’homme, celui à l’image duquel ils sont nés » (D.Vasse) ; on pourrait dire : que se révèle le « Je royal » de l’homme !

La deuxième question est celle de Pilate : « Qu’est-ce que la vérité ? ». On sait que Pilate n’attend pas la réponse ! Attitude critiquable certes. Mais nous, nous savons que Jésus n’aurait jamais répondu en théorie (comme si la « vérité » n’était que produit du travail de notre intelligence scientifique ou philosophique). Pilate s’intéresse au pouvoir et à son efficacité. Pour Jésus être « roi » c’est « rendre témoignage à la vérité ». Il a attesté que la vérité est une personne, un témoin et son témoignage : « Moi je suis la vérité » et que, donc, la vérité est « dialogale », que nous sommes des « pèlerins de la vérité » (Benoît XVI), comme en témoigne, au seuil de sa mort, l’ampleur de cet entretien où Jésus fait cheminer son juge païen (Jn 18, 28-40 à 19, 12).

Dernière question de Pilate : « D’où es-tu ? ». Vraie question contemporaine sur l’origine après Darwin ! Pilate s’interroge sur l’origine de Jésus, sur l’origine de son pouvoir « donné d’en haut ». Pour nous il pose ainsi la question de sa filiation, car le « Je royal » se reçoit de Dieu : nous savons que Jésus est « Fils de Dieu », c’est aussi le motif de sa condamnation par les autorités juives (19, 7). Or Jésus ne répond pas : il se tait et ce silence veut nous instruire. Il nous pousse, avant tout commentaire, à contempler d’abord l’attitude du Christ car, comme l’écrit Benoit XVI, « En lui la vérité est devenue reconnaissable ».

Voici d’abord un juge bien peu capable de « faire » une vérité dont il est convaincu « pas en lui de motif de condamnation », un juge apparemment libre puisqu’il va et vient mais soumis aux pressions de la foule et d’un contexte politique instable, un homme qui a peur des émeutes pendant les fêtes. Et voici un prisonnier qui transforme un interrogatoire en dialogue. Jésus est calme et libre intérieurement, si peu soucieux de son sort personnel qu’il fait tout pour rencontrer son juge en vérité, d’homme à homme, sans élever la voix, sans se défendre ni se protéger, autrement dit un pauvre, détaché de soi et présent à l’autre. Il fait ce qu’il a dit : « traduits devant les gouverneurs…pour rendre témoignage…ne cherchez pas avec inquiétude comment parler ou que dire, ce que vous aurez à dire vous sera donné sur le moment. » Mt10,17. Jamais Jésus ne se pose en victime ni ne se laisse entraîner à débattre. Quel enseignement pour notre monde actuel ! Il compte sur le pouvoir de la vérité et non sur le pouvoir politique ou celui des armes. On le contemple donc : présence réelle à Pilate : pas de discours sur Dieu, pas de morale, pas de défense de soi, pas de discours rigidifiant .Pilate est accueilli et désiré en tant que tel et Jésus essaye de le faire aller jusqu’où il peut aller. Jésus ne refuse pas d’être jugé et il réduit toute sa vie à quelques mots ! Celui qui est né de la vérité m’entend, j’ai tout dit !

Et il nous faut contempler en fin de récit le fruit de ce dialogue comme la vérité à l’état naissant : Pilate finit, on pourrait dire comme malgré lui, par donner prise en lui à la vérité puisqu’il dit : « Voici l’homme » et « Voici votre roi » (19, 5 et 19, 14). Le « Roi » annoncé dès le début, vrai Dieu et vrai homme : « tu enfanteras un fils…il sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David…il règnera… » (Lc1, 31-33) « En Jésus apparaît l’être humain en tant que tel », « La Vérité est le Roi véritable » écrit Benoit XVI. Cette contemplation nous rend manifeste le mystère qui le fait vivre : sa remise au Père, son oui, sa seule richesse et son seul pouvoir, en un mot : sa filiation.

1- Quelques séparations dans les Écritures.

La séparation balise la route de l’humain dans toute la Bible. Quelques exemples :

  • Séparation et Création ; Dieu crée en séparant, sans exclure : « Dieu sépara la lumière et les ténèbres » ; « Qu’il y ait un firmament et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux » (Gn1,3 ;6) et plus loin : séparation de ce qui est trop proche: « L’homme quitte son père et sa mère » pour s’unir à ce qui n’est pas trop étranger comme l’était l’animal : « et s’attache à sa femme » (2,24).
  • Séparation pour vivre plus largement, non faire table rase, mais partir de… : Abraham. « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père… » (Gn12,1) et ; plus tard, pour une ouverture à un désir plus grand en faisant alliance avec Dieu (en hébreu : on tranche un pacte) : les animaux partagés et placés « chaque moitié vis-à-vis de sa compagne », en face et non contre, comme pour un dialogue. Le feu de Dieu passe qui soude les parties en les cuisant. Conséquence : le banal désir d’enfant d’Abraham « je m’en vais sans enfant » est élevé au vaste plan d’un peuple et d’un territoire « dénombre les étoiles…telle sera ta postérité » (Gn 15,).
  • Le Psaume 1 débute par 3 « non » avant de prendre le chemin de ce qui est vivifiant.
  • Séparation et parole authentiquement libre, conséquence de la venue de Jésus : « Je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive…opposer l’homme à son père et la bru à sa belle-mère. » (Mt10, 34) Épée de la discrimination. « Vivante est la parole de Dieu, plus incisive qu’un glaive à deux tranchants » (He 4,12)
  • Séparations des images du moi, des apparences entretenues par les autres : Les tentations de Jésus ; « si tu es fils de Dieu »…, tu n’es pas un homme, sers-toi de Dieu comme d’un pouvoir…Jésus montre la vérité de l’humain qui est« fils de » : « Je ne fais rien de moi-même… ». Séparation des images de Dieu aussi !
  • Séparation pour devenir communautaire. Saint Paul, apôtre de l’universalisme se dit « dès le sein maternel mis à part, (séparé) » Ga1, 15 alors qu’il dit aussi du Messie qu’il « a détruit le mur de la séparation »Eph2,14.
  • Séparation et mission. Marie Madeleine : « Ne me retiens pas …vas trouver mes frères et dis-leur… » Jn20, 17.On entend presque : ne reste pas dans tes images de moi, ne les retiens pas, fais-toi confiance ! Unis-toi à moi autrement comme l’écrit P. de Bérulle : « Unissant son âme à vous d’une nouvelle manière ».

2- Séparation et maturation psychique.

  • Il existe bien entendu des séparations toxiques : prématurées, arbitraires, violentes. Elles sont source de refoulement et de faux moi.
  • Toute notre vie nous quittons et nous sommes quittés, nous renonçons à des parts qui nous sont chères. Pertes nécessaires : perte de la fusion mère-enfant pour l’autonomie, la sortie de la pensée unique ; de l’imaginaire pour la conscience et la présence au monde, en particulier grâce à la loi, source de liberté ; de l’idéalisme pour les possibles connexions amoureuses et familiales…Se séparer d’une part de soi se nomme la castration. Elle fait exister l’autre !
  • Tout particulièrement, perte du fantasme archaïque de toute-puissance (voir Pilate : « Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de te crucifier ? »Jn19,10 ,où domination et image de soi empêchent toute reconnaissance de l’autre, de l’Autre, en favorisant les projections, la possessivité, les comparaisons, les asservissements aux représentations idéales de soi…Car le « vivant a toujours la tentation de croire qu’il peut se faire vivre lui-même, qu’il est la Vie » (D. Vasse). C’est la position imaginaire de l’enfant roi : moi-moi-même et tout à moi ! Cette image doit tomber car ce moi tout puissant est dans l’illusion complète, donc refus de vérité. D’ailleurs, de fait, Pilate sera destitué par ses supérieurs quelques années plus tard.

3- Séparation et développement spirituel.

  • Les traditions spirituelles nomment toutes une étape de purification qui vise à renoncer à l’ego dont la préservation génère la peur et à dégager ainsi l’amour de ses malfaçons ou de ses illusions. Étape qui permet de se dés-identifier de ce que l’on fait et de ce qui est autour de soi pour progresser en pauvreté et en humilité.
  • Un exemple : saint Ignace, lors des Exercices Spirituels, propose de »mettre de l’ordre dans sa vie » en nommant nos « affections désordonnées » avant toute démarche de discernement des esprits. En effet notre moi se programme –inconsciemment- en fonction de son besoin de reconnaissance, de sa soif de pouvoir et/ou de sa quête de profit (on reconnait là les tentations de Jésus). Il adopte des stratégies utilisant son entourage pour arriver à ses fins. Il convient de s’en libérer…pour parvenir « à la fin pour laquelle il a été créé…louer, révérer et servir Dieu » Ignace de Loyola. C’est un détachement pour une véritable implication dans le monde.
  • Il reste qu’en l’homme une déchirure est toujours là qui est la séparation opérée par le péché : « Je ne fais pas le bien que je veux et je commets le mal que je ne veux pas »Rm7,19. L’état de péché, amartia, c’est manquer la cible, c’est être à côté de ce qu’on est réellement. Comment s’opèrera la séparation de… la séparation elle-même ?

4- Jésus suscite le « JE », il éveille la personne.

  • Juste avant le texte de Pilate, Jean relate le reniement de Pierre. Très instructif : le mensonge de l’apôtre qui est traduit par « je n’en suis pas »(18,25), se transcrit mot à mot du grec par : « JE ne suis pas ». Reniement et mensonge comme conséquences d’un JE encore incapable de se conduire selon la vérité ! N’étant pas, il ne peut être avec l’autre ! Voir la phrase célèbre de Freud : « Où ça était, Je doit advenir ».
  • Autre exemple. La guérison de l’enfant épileptique telle que la décrit M.Balmary. On y voit un père passer d’un « nous » de fusion-confusion avec son enfant malade et muet, au « JE crois, viens en aide à mon peu de foi » adressé à Jésus ; ce « Je » et ce « cri » Mc9,24 sont appelés… « prière »… par Jésus ! Sortie de la confiscation réciproque du je du père et du je de l’enfant. Sortie de la « possession» ! Jésus nous veut situés dans notre propre corps, différenciés, chacun autre que lui, autre que tout autre, ou au moins cherchant à le devenir progressivement.
  • Pourquoi cette importance du sujet différencié ? Pour que la relation, avec soi, avec l’autre, avec Dieu, c’est-à-dire un accès possible à l’amour, ne se fasse pas sur les bases mouvantes du mensonge, de l’erreur ou des apparences ! On pense ici aux modernes « amis sur internet» à bases de pseudos, avatars et autres « anonymous ».
  • Pour les chrétiens, la vérité n’est pas une théorie philosophique mais une Personne Vivante, donc une relation et la quête personnelle d’un sujet, d’un « je » : « Je suis le chemin, la vérité et la vie »Jn14,6. Comment mieux dire qu’elle est un cheminement de vie ? La vérité c’est quelqu’un et ce « quelqu’un est plus intérieur à moi-même que moi-même ». Jésus est l’homme de désir, le JE authentique : voir le nombre de « ego eimi, moi, je suis » dans le texte de Jean. Il nous ouvre l’accès à la vérité en acte « hors de moi vous ne pouvez rien faire »Jn15,5. (Pouvons-nous lire « hors de JE » ?). Son départ – encore une séparation !- sera accès à la Vérité reçue de son Esprit : « Je vous dis la vérité, c’est votre intérêt que je parte car si je ne pars pas la Paraclet ne viendra pas vers vous, mais si je pars, je vous l’enverrai…..Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous introduira dans la vérité toute entière » Jn16, 7 et 13.
  • Pour autant l’homme est-il capable de vérité ? Oui, l’attention que Jésus accorde à Pilate en dépit du tragique de la situation nous le laisse entendre. Cependant les allers et venues du gouverneur hors du prétoire et sa peur, « il fut encore plus effrayé » (19 ,8), symbolisent bien la difficulté qui est celle de tout homme ! Dégager l’amour de ses malfaçons et de ses faux semblants, devenir sujet de sa propre histoire, de sa propre parole est une œuvre lente, sur fond de solitude, même de coupures avec autrui, pleine de risques (un démembrement ? une cuisson ? comme pour les animaux partagés d’Abraham qui fut alors « saisi d’un grand effroi » Gn 15,12)… Il est plus facile de se laisser aller à la répétition, au prêt à penser et aux apparences que de devenir des « créatures créatrices ».
  • Sortir du personnage pour devenir une personne. Être libre d’exprimer sa vérité, le solide (Emet, la vérité en hébreu contient la racine mn qui exprime la solidité) qui nous habite chacun, unique, à la fois pauvre (en hébreu le mot séparer ou distinguer, (racine BaDol), contient le mot Dal: pauvre) et royal « Vous siègerez sur des trônes »Mt19,28 (associé en Mt à « quiconque aura laissé maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs, à cause de mon nom… »). Tel est le solide pouvoir « donné d’en haut » dont il est question dans le texte qui emploie le terme ex-ousia, autorité, capacité d’être ; on pourrait dire : d’où es-tu étant ?…D’en haut ! Jésus répond ainsi à la question « d’où es-tu ? » qui l’avait laissé d’abord silencieux.
  • N’y a-t-il pas un risque à trop mettre l’accent sur la « subjectivité » et d’individualisme ? Car la vérité « n’est pas reconnaissable dans notre monde en état de non rédemption » dit Benoit XVI. Elle ne sort pas toute nue du puits. Comment y avoir accès ? Beaucoup dans nos sociétés prônent le relativisme contre lequel s’insurge le pape actuel qui parle de blackjack en ligne jeux
    « dictature du relativisme »et constate que « le concept de vérité est désormais un objet de soupçon ». Faut-il écarter les convictions ? Cacher ce qui divise ? Est-il juste de penser : à chacun sa vérité car toutes les opinions se valent, les religions aussi ? Revendiquer sa « liberté de pensée » comme dit la chanson ? Comment assumer alors les différences ? L’ego peut-il être la mesure de tout ? Bien sûr, Jésus nous montre sa foi en l’être unique que « je suis », il espère le meilleur de Pilate. Il est un passeur qui veut nous sortir de l’anonymat et d’une foule qui « vocifère » 18,40. Que chacun traverse sa propre humanité, son « moi-moi » personnel, pour accéder en soi-même, par une expérience intérieure d’ouverture, à la vérité qui s’y révèle certes : « L’onction que vous avez reçue de lui demeure en vous et vous n’avez pas besoin qu’on vous enseigne » 1Jn2,27. La vérité est un chemin : dans le dialogue, la présence du Christ et le discernement car « à présent je connais d’une manière partielle ; mais alors je connaitrais comme je suis connu. »1Co13,12, et : « Nul ne vient au Père que par moi »Jn14,6.
  • Dans le Christ ce chemin est celui de l’humilité et non de l’endoctrinement ou du fanatisme persuasif : Jésus refuse la force : « Si mon royaume était de ce monde mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux juifs » 18,36. C’est l’Esprit qui est le Défenseur et, comme le dit saint Paul, on proclame la vérité de l’Évangile tout en étant « faible, craintif et tout tremblant…sans les discours persuasifs de la sagesse »1Co2, 1-4. C’est aussi un chemin de dépouillement comme l’exprime si fortement M. Zundel : « L’esprit de ne peut être atteint fructueusement que par l’esprit, l’âme par l’âme, la personne par la personne, la vie par la vie. C’est le dépouillement du Christ qui cautionne sa parole et il est infini. Il ne propose pas un système, Il n’invente pas une doctrine : Il témoigne de ce qu’Il vit, qui tient dans un mot : « Je est un Autre ». Ce moi propriétaire, ce moi préfabriqué, qui nous emprisonne et nous asphyxie n’existe pas en Lui, cette fermeture initiale sur soi de toute nature humaine a été prévenue en sa nature humaine par une totale ouverture sur Dieu. »

5- La séparation comme naissance à notre véritable filiation : « D’où es-tu ? »

  • C’est la question de l’origine : d’où sors-tu ? Les mots du texte nous invitent à changer de « lieu » et de regard : « Mon royaume n’est pas de ce monde » ; « Je suis venu dans ce monde » ; « d’où es-tu ? » ; « aucun pouvoir sur moi si cela ne t’avait été donné d’en haut »…Dans ce monde est la violence. Jésus est là comme témoin d’un monde selon le royaume, d’un au-delà du monde, non d’un ailleurs ni d’un après, puisque « le Règne de Dieu s’est fait proche »Mt3,2. Et le silence de Jésus à la question « d’où es-tu ? » nous parle aussi : « il se tait parce que ce qu’il veut indiquer est au-delà des mots » Mgr Rouet. Pilate pouvait-il comprendre la filialité, motif de sa condamnation ?
  • Séparé, pourquoi faire ? Autant la Bible montre de séparations, autant elle parle de reliance, d’alliance, d’accompagnement, de filiation ; et ceci du début à la fin, des eaux d’en bas séparées des eaux d’en haut, mais reliées par un « firmament au milieu » Gn1, 6, comme un cordon ombilical, jusqu’au « Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » Mt28,20. Et Rm9,8 : « Ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu , seuls comptent comme postérité les enfants de la promesse ».

– Séparé de l’erreur de l’uniformité fusionnelle pour naître d’en haut.

(=Je suis aimé unique)

– Séparé de l’erreur des illusions pour devenir fils dans le Fils.

(=Je ne suis pas Dieu). Dieu est Père véritablement. La paternité du mâle humain en est seulement le signe : « Vous n’en avez qu’un, le Père céleste »Mt23,9.

– Séparé de l’erreur de la division pour unir des frères entre eux et en Dieu.

(Je suis un parmi d’autres)

– Séparé de la grande séparation du péché grâce au PARDON du Père.

(« Père, pardonne-leur »)

  • Le Père demeure le maitre d’œuvre de ces séparations comme en témoignent la parabole de l’ivraie (Mt13,36-43) ou « l’écharde dans la chair » de saint Paul (2Co12, 7)… car « ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesse ».

Conclusion

En disant à Pilate : « Je ne suis né et je ne suis venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix »Jn18,37, Jésus nous invite à compter sur le pouvoir de la vérité en chaque être humain.

Aussi la dernière question que nous poserons est celle-ci : comment « faire la vérité » ?

Le texte de Jean nous donne quelques pistes.

  • Mettre un NOM, au plus juste, sur les actes et les pensées : ton pouvoir sur moi n’est pas absolu, Pilate. Dans notre vie, cela donne : ceci est un mensonge, ce que tu fais s’appelle adultère, ce sentiment c’est de la jalousie, ce qui me pousse c’est la recherche de pouvoir plus que la charité…. Nommer permet de sortir de l’imaginaire qui idolâtre l’image de soi-même qui est prise pour Dieu. Nommer dégage également de l’esclavage des pulsions qui agitent la chair sans la médiation de la parole (voir le non-dit entre Caïn et Abel, Gn4,8)
  • Comme Jésus fait ce qu’il dit et dit ce qu’il fait, JOINDRE L’ACTE A LA PAROLE. C’est sortir de la langue de bois et de l’idolâtrie de notre pensée ! C’est avoir pris le temps, que Pilate ne prend pas, de laisser résonner en soi la parole de l’autre, a fortiori les Paroles de Dieu, pour que la chair en vive ! Car dire la vérité pour ne pas la faire, c’est de la perversion : Pilate sait l’innocence de Jésus « Je ne trouve pas en lui de motif de condamnation »… mais il n’en réalise rien. Jésus, lui, dira en vérité : « Tout est accompli »Jn19,30.
  • Nous contemplons Jésus VRAIMENT PRESENT AU DIALOGUE avec Pilate, car la vérité se révèle peut-être autant par la qualité de la présence que par des paroles. Jésus ne dit pas « j’ai la vérité » mais « Je suis la vérité » et il accompagne ceux qu’il rencontre ! « L’Esprit Saint est présent et agissant, non seulement dans les personnes mais aussi dans les cultures, dans l’histoire, dans les sociétés et dans les religions » écrivait Jean-Paul II (Redemptoris Missio). Notre rôle de croyant serait donc d’être présent à l’autre avec la foi et l’espérance de l’Esprit déjà à l’œuvre en lui, de voir tout homme tel qu’il est en Jésus-Christ : tourné vers Dieu. Voilà un regard fertile sur la possibilité d’une expérience mystique qui ne soit « pas le privilège d’une élite mais livrée à tous et accessible bien au-delà des frontières du christianisme institué. » Ch. Théobald. « Vouloir comprendre la vérité sans se mettre en chemin, sans être accompagné, c’est imaginer qu’elle est déduite de ma recherche et refuser qu’elle se révèle pour dire qui nous sommes. »D. Vasse
  • Être conscient de CE QUI PREND POUVOIR SUR NOUS ? Qu’est-ce qui me parle le plus dans le monde ? les statistiques ? les armes ? le peuple ? le politique ? tel gourou ? quelle voix-off écoutons-nous sans le savoir ? Pilate, lui, finit par obéir à la foule indifférenciée et aux chefs religieux étrangers à sa culture. Jésus, le Fils du Père, lui : « Je dis ce que le Père m’a enseigné, et celui qui m’a envoyé est avec moi ; il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît » Jn 8,29, et il l’accomplit : « Tout est accompli » Jn19,30, révélant qui il est, le Messie d’Israël, Fils de Dieu, et qui est le Père, Amour qui a donné un tel Sauveur. Mais nous qui avons toujours peur que la foi en la vérité devienne intolérance, nous pouvons contempler l’humilité du témoignage du Christ, comme le dit Benoit XVI : « La vérité ne s’affirme pas à travers un pouvoir extérieur, mais elle est humble et ne se donne à l’homme qu’à travers le pouvoir intérieur de son être véritable » (Homélie à Mariazell, Autriche). Il conviendrait ici de parler de la force interne des Écritures si l’on y « écoute sa voix », (le mot écoute qui contient la racine : obéir, en latin). Travail de choix jamais fini pour être de la vérité : « Quiconque est de la vérité écoute ma voix » !
  • Parce que la Vérité « on l’enseigne sans doute mais plus encore ON EN SAIGNE» comme le dit F.Hadjadj comme aussi la chanson de G.Béart : « Le premier qui dit la vérité il doit être exécuté ! », sa valeur réside dans un témoignage : ouverture de la chair pour que l’Esprit vienne y habiter et le faire passer à une autre dimension. Pourquoi ? parce qu’elle est Vie, et donc incarnée, révélée, dans une histoire d’hommes saisis par la promesse de Dieu. Cette autre dimension c’est, avec le Christ, la résurrection c’est-à-dire « la puissance infinie qu’Il(le Dieu de JC) déploie pour nous les croyants. C’est la force même, le pouvoir, la vigueur qu’il a mise en œuvre dans le Christ en le ressuscitant d’entre les morts. »Eph1,19 C’est ainsi que Thérèse de Lisieux, elle qui voulait être amour dans le cœur de l’Église, a pu dire à la fin de sa vie : « Oui, il me semble que je n’ai jamais cherché que la vérité ; Oui, j’ai compris l’humilité du cœur ». On ne possède pas la vérité, fût-on bon chrétien de longue date, on ne peut que la co-naitre, être possédé par elle. En Thérèse, les paroles des psaumes 85 et 84 s’accomplissent : « Amour et Vérité se rencontrent ». « Heureux les hommes dont tu es la force des chemins s’ouvrent dans leur cœur ! »

Bibliographie

Marie BALMARY : Le sacrifice interdit, Grasset, 1986.

BENOIT XVI : Jésus de Nazareth, T.2, Ed. du Rocher, 2011.

F.HADJADJ : Qu’est-ce que la vérité ? Salvator, 2010.

M.F.LACAN : Dieu n’est pas un assureur. Albin Michel, 2010.

A.ROUET : J’aimerais vous dire, Bayard, 2009.

C. THEOBALD : La révélation…tout simplement, Ed. de l’Atelier, 2006.

D.VASSE : La vie et les vivants, Seuil, 2001.

M.ZUNDEL : Dialogue avec la vérité. Desclée, 1991.

Vocabulaire de théologie biblique, article « Vérité », « Fils de Dieu », « Fils de l’homme ».