On l’ignore, on la fuit, on la cache .La mort, la notre comme celle des autres. Mais comme elle surplombe toute notre existence, ne faut-il pas pour vivre mieux, cesser de l’occulter.
« Chacun de s’étonner que ce mortel soit mort » disait Bossuet.

Peur de la mort ou peur de mourir ?
Plus nos décennies filent, plus la conscience de notre statut de mortel s’ancre dans nos esprits, tant que nous avons nos parents nous y pensons moins, le fait d’être grand parent nous fait penser que bientôt ce sera notre tour.
« Dans l’inconscient chacun est persuadé de son immortalité » disait Freud

Naître à la mort
« L’expérience de la naissance est la première expérience de l’émergence de la mort » disait Françoise Dolto. Notre venue au monde nous installe parmi ceux qui vont mourir .Elle implique d’emblée une perte, celle du placenta protecteur vécu par le nouveau né comme une part de lui-même.
Dès l’age de 2-3ans l’enfant peut réaliser qu’une personne de son entourage est morte. Mais il s’imagine qu’elle est partie pour aller habiter dans un autre univers.

Pour un petit, mourir c’est vivre autrement. Inutile de s’inquiéter s’il ne pleure pas toutes les larmes de son corps et manifeste surtout de la curiosité. La mort intrigue les enfants, comme la sexualité et la procréation. En revanche, une absence de questionnement de sa part signale une difficulté : l’enfant se tait pour ménager ses parents quand il saisit leur incapacité à parler de ce décès. Or ce silence  risque de le rendre inapte, plus tard assumer la confrontation avec la mort.

Moi aussi, je vais mourir…

C’est souvent la mort des autres qui nous fait prendre conscience de notre mortelle condition. Un constat propre à l’homme et impossible pour l’animal qui vit dans l’ignorance du sort qui l’attend.

Être un homme c’est craindre la mort et inventer des rituels pour marquer son passage. Les spécialistes de la Préhistoire ne parlent «d’hominisation » qu’à partir du moment où les grands singes, que nous tenons selon certaines théories pour nos premiers ancêtres se sont mis à honorer leurs morts par des rites funéraire. Pourquoi dans la foulée ont-ils inventé la spiritualité ? Peut-être pour essayer de donner un sens à la vie, et des images à la mort, univers de l’invisible et du non-représentable par excellence.

Ce n’est pas un hasard si la majeure partie de la littérature philosophique s’emploie à nous aider à la penser . Pour mieux aussi la dénier « il est inutile d’y songer déclare Épicure; Tant que nous sommes elle n’est pas; quand elle est là, nous ne sommes plus».

Ou pour nous persuader de l’accepter avec sérénité « on peut apprendre à mourir » assure Montaigne.

Si craindre la mort de parents, de proche, malade ou vieillissant est illégitime, être obsédé par la perspective du décès de tous les êtres qui nous entourent est névrotique.

Tout comme la crainte perpétuelle de certaines mères pour la vie de leurs enfants. Pour la psychanalyse, ce type de symptômes est l’effet de vœux inconscient de mort transformés dans la conscience en obsession permanente de la mort.

Vouloir rester en vie, pour ceux qui ont besoin de nous, est une préoccupation très courante.

« Quand mon mari et moi on part en voyage, nous ne prenons jamais le même avion. »

Éviter les situations susceptibles de causer prématurément notre décès n’a rien de pathologique. En revanche, se sentir en situation de danger permanent, sans raison est plus problématique. Certains individus par superstition névrotique frémissent d’horreur dès qu’ils lisent ou entendent le mot « mort », signe qu’il pourrait leur arriver une chose terrible.

En psychanalyse, la sensation constante de mort imminente, les angoisses morbides chroniques ont  généralement leur source dans des conflits psychiques non résolus.


Que subsistera-t-il de notre moi ?

Pourquoi meurt-on ? Que se passe-t-il après ?  Nous n’avons que des fantasmes, c’est-à-dire, à savoir inventer pour se rassurer.

Contre la mélancolie et le découragement de la mort il n’y a pas de réponse, mais il y a une riposte: nous devons assumer notre condition avec  l’incertitude qui en découlent.

La mort, moteur de la vie

La mort impersonnelle, abstraite, nous la refusons plus ou moins tous, chaque individu veut mourir de sa mort « à lui » c’est pourquoi l’homme agit et tente de se construire son propre destin, c’est souvent l’aiguillon de la mort qui nous pousse à faire des enfants grâce auquel nous survivront au-delà du néant. C’est aussi l’idée de la mort qui incite l’artiste  à créer pour immortaliser son nom.

En fait, vivre éternellement serait sans doute d’un ennui sans fin. Car le désir de vivre, de créer, d’aimer se nourrit d’obstacles. Et sans l’horizon de la mort, cette énergie intérieure s’éteindrait probablement à tout jamais. Autrement dit, nous avons psychologiquement besoin de la mort pour vivre.


La mort est à la source des grands mythes religieux:

Immortalité, résurrection, réincarnation; avoir conscience de l’horizon de sa mort est ce qui distingue l’homme de l’animal, le mystère premier n’est pas la mort mais l’attitude de l’homme devant la mort.

Le croyant prend soin de l’avoir à l’esprit ; comment mieux se préparer à passer dans l’autre monde ? « L’imitation de Jésus-Christ » de Thomas A Kempis, ouvrage du XVe siècle invite à la méditation sur la mort « heureux celui a qui à l’heure de sa mort est toujours présente, et qui se prépare chaque jour à mourir » dit la traduction due à Lammenais.

De même on trouve dans les Avot du judaïsme :

« Fait pénitence la veille de la mort, mais l’homme connaît-il le jour de sa mort ? Fais donc pénitence chaque jour de ta vie. »

Ou bien dans « le livre Tibettain de la Vie et de la Mort » magistrale distillation de la sagesse du bouddhisme, instructions pratiques et conseils spirituels pour vivre dans la lumière du plus grand de tous les maîtres : la Mort ; et nous rappelle surtout que celle-ci fait intégralement partie  de la vie

Le cycle n’est-il pas…..VIE-MORT-VIE