Dans son ouvrage Le harcèlement moral dans la vie professionnelle, Marie-France Hirigoyen explore cette problématique.
Alors, que faire si vous-même ou un collègue de travail êtes aux prises avec le harcèlement Vous pourriez avoir tendance à paniquer, banaliser ou dramatiser. Sachez qu’il est possible de récupérer du pouvoir sur la situation et d’agir afin de prévenir le pire car le harcèlement au travail tue…
Dans un premier temps, il importe de ne pas s’ isoler dans cette situation. Il faut rapidement trouver un interlocuteur de confiance, un thérapeute, un médecin à qui vous pourrez parler. Le seul fait de vous confier librement vous aidera à voir plus clair, à vous comprendre.
Qu’est-ce que le harcèlement psychologique au travail ?
D’après les nouvelles dispositions de la Loi sur les normes du travail en place depuis juin 2004, le harcèlement est une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles et qui portent atteinte à la dignité et à l’intégrité psychologique ou physique du salarié qui a pour conséquence de se trouver dans une ambiance et un lieu de travail néfaste.
Le harcèlement est un signifiant masqué de la violence humaine qui va générer:
L’intimidation
Les brimades
La persécution
Le bouc émissaire
Le bizutage
L’incivilité à caractère vexatoire
L’abus de pouvoir
Le détournement des règles disciplinaires, « La placardisation ».
L’intimidation est une action violente qui consiste à faire peur à l’autre en haussant le ton, en dépréciant son travail, en le menaçant de manière détournée ou voilée, en exerçant sur l’autre des pressions indues pour parvenir à ses fins.
La brimade « est une action tyrannique qui consiste à brutaliser, à rudoyer quelqu’un de plus faible.
La persécution « est une forme sévère de harcèlement qui consiste à houspiller, attaquer, malmener et se manifeste par des agissements hostiles fréquents et répétés sur le lieu de travail visant systématiquement la même personne. Cela peut aller jusqu’à des dérapages incluant de la violence physique ».
Le bouc émissaire « est celui qui prend sur lui d’alerter l’opinion publique sur les malversations, de dénoncer les actes de corruptions ou les violations de la loi des grands services publics où il travaille. C’est en ce sens qu’il devient victime de représailles ».
La discrimination ou bizutage consiste « en des attaques répétées et opiniâtres envers une personne qui affiche des différences en raison de ses convictions religieuses, de son orientation sexuelle, de ses origines, de sa nationalité » (5) ou du simple fait d’être une femme.
L’incivilité à caractère vexatoire consiste à utiliser des propos méprisants pour disqualifier une autre personne ou la discréditer auprès des collègues, supérieurs, subordonnés. On utilise envers elle des gestes de mépris (soupirs, regards levés au ciel, haussements d’épaules). On l’interrompt. On tient à son sujet, devant des tiers et devant l’employé, des propos humiliants et abusifs.
L’abus de pouvoir est une forme particulièrement grave de harcèlement qui consiste à s’attaquer directement aux conditions de travail de l’employé en lui retirant son autonomie. On se sert de son pouvoir pour contester systématiquement toutes ses décisions ; pour lui retirer ses moyens et ses outils de travail (budget, téléphone, fax, ordinateur) ; pour lui attribuer des tâches humiliantes ou contre son gré ; pour l’isoler, l’empêcher d’obtenir une promotion ; pour lui attribuer des tâches incompatibles avec sa santé. On ne tient pas compte des avis médicaux concernant la victime. On la pousse à la faute pour la prendre en défaut afin de la congédier (abusivement).
Le détournement des règles disciplinaires, du pouvoir de direction ou du pouvoir d’organisation est une forme de harcèlement particulièrement sévère qui consiste à détourner les règles à son profit personnel, à contourner le pouvoir de direction pour s’adonner à l’exclusion ou au favoritisme ou encore servir ses propres fins au détriment de certains employés, pour obtenir ou détourner des fonds sous de faux prétextes, pour s’approprier des biens, obtenir des privilèges sous de fausses représentations ou en retirer à quelqu’un d’autre.
La placardisation consiste à isoler la victime ; on l’installe à l’écart des autres ; ses supérieurs hiérarchiques et collègues ne lui parlent plus. Elle devient « persona non grata ». On ignore sa présence en s’adressant uniquement aux autres. On interdit à ses collègues de lui parler. On ne la laisse plus parler aux autres. On communique avec elle uniquement par écrit ou par mail. On fait courir sur elle des rumeurs. On lui attribue des problèmes psychologiques ; on dit du salarié que c’est un malade mental, un fauteur de troubles. La direction refuse toute demande d’entretien et toute explication.
Quelles sont les circonstances propices au harcèlement ?
Le dysfonctionnement de l’organisation du travail prédispose le milieu au harcèlement. Par exemple, dans plusieurs grandes organisations internationales, aux Etats-Unis, en Europe au Canada, il est répandu et surtout bien vu de la direction de participer à des réunions à l’heure du lunch ou encore de travailler en surtemps tous les soirs et les week-ends et de le prouver en envoyant et en recevant des consignes ou des demandes d’information, d’approbation par courriel bien avant et bien après les heures normales de travail. Ces pratiques, cautionnées par la hiérarchie, exercent une pression telle qu’il devient risqué voire impossible pour un salarié de ne pas s’y conformer. S’il exprime son désaccord, ses pairs et ses supérieurs, se sentant confrontés, auront tôt fait de le mettre au pas. Ils le manipuleront, remettront en cause tantôt son professionnalisme, tantôt sa loyauté envers l’entreprise. S’il n’entre toujours pas dans le rang, la situation dégénèrera rapidement pour l’individu ; on envahira alors sa vie privée par des coups de téléphones répétés lorsqu’il est en congé. On ne tiendra pas compte des limites qu’il aura osé exprimer. C’est alors que s’ensuivra une série de symptômes et de conséquences néfastes pour la santé du salarié mais aussi pour l’entreprise. On le verra plus loin, c’est en millions de dollars que se chiffrent les coûts de l’absentéisme au travail pour des raisons de santé mentale reliées à des malentendus, des situations conflictuelles engendrés par de mauvaises pratiques de gestion et le dysfonctionnement de l’organisation du travail.
La détérioration des conditions du travail résulte souvent d’un déficit sur le plan de l’éthique et des valeurs. On croit à tort que l’écart entre le discours dominant et les pratiques est sans conséquence. C’est un leurre, les salariés décèlent rapidement le manque d’intégrité chez l’autorité et sa malhonnêteté est loin de passer inaperçue. Les deux ont un effet démobilisateur qui détériore les conditions de travail et induisent un fort vent d’incertitude et d’insécurité.
De toute évidence, un changement de supérieur, de nouvelles orientations non ou mal communiqués aux salariés affectent les conditions de travail. Un arrêt de travail, un désaccord, une réorganisation du travail sont autant de raisons pouvant également entraîner une détérioration des conditions de travail. Les motifs du harcèlement sont nombreux. On l’exerce pour exclure, écarter, casser la résistance, assouvir un plaisir pervers, par ignorance, en raison de fausses croyances ou encore en vue d’extraire une plus-value.
Qui sont les harceleurs ?
Outre les causes organisationnelles qui découlent des mauvaises pratiques et du style de gestion, le harcèlement a aussi une explication psychologique. En effet, on peut cerner divers profils psychologiques de harceleurs. Il s’agit du paranoïaque, du narcissique, du caractériel et de l’obsessionnel compulsif. Il est à noter que l’on observe chez l’un comme chez l’autre un écart entre le comportement normal ou adapté et le comportement pathologique ou asocial un déficit éthique, déresponsabilisation, la peur de l’incompétence, la peur du rejet et de l’abandon, l’insécurité, le besoin de tout contrôler, l’absence d’empathie, l’ignorance, le manque d’éducation, le complexe d’infériorité, le perfectionnisme à outrance, la logique binaire (tout ou rien, blanc ou noir, bon ou mauvais) et enfin, la rumination. Tel est bien souvent les caractéristiques et les modes de fonctionnement observés chez les harceleurs.
Quelles sont les conséquences du harcèlement chez la victime ?
Le vécu des victimes de harcèlement psychologique est tragique. Lorsque l’on porte atteinte à ses conditions de travail, lorsqu’on l’isole et refuse de communiquer avec elle, lorsque l’on porte atteinte à sa dignité, lorsque l’on a recours envers elle à la violence verbale, physique ou sexuelle, la personne harcelée vit une grande détresse psychique. Elle est profondément blessée et atteinte dans son droit inaliénable à l’intégrité et à la dignité. Les conséquences sont encore plus désastreuses si la victime s’isole. Au début les symptômes seront diffus ; la personne se sentira nouée, tendue. Lorsqu’elle ne reçoit pas d’aide psychologique, sa santé mentale et physique se détériorera notablement. Elle se sentira surmenée en raison de l’apparition de troubles du sommeil, d’insomnies fréquentes, de perte d’appétit, d’amaigrissement. Elle perdra peu à peu tout intérêt pour son entourage, ses activités et son travail. Elle développera des phobies, des peurs ; s’inventera des scénarios catastrophiques imaginaires. Elle souffrira de dépression et, dans les cas les plus sévères, elle perdra contact avec la réalité et à la longue, sombrera dans des épisodes de délire paranoïaque. Malheureusement, la victime de harcèlement qui se replie ainsi sur elle-même en viendra à poser des gestes désespérés. Plusieurs y parviendront sans que personne n’ait rien décelé du drame humain qui se tramait derrière cette image, apparemment sans faille.
La dimension immatérielle du harcèlement pour la victime, les témoins et leur famille et l’ensemble des citoyens.
Pour la victime, le coût se mesure par l’atteinte à son droit à la dignité tandis que pour sa famille, les témoins, le coût humain se mesure par la détresse et l’impuissance vécues. Le coût social de la désolidarisation se mesure par l’effritement du lien. Le coût sociétal se mesure par la perte de sens du travail.
Des pistes d’action et de solution
Comment contrer le harcèlement…
En sortant du non-dit (parler à un thérapeute, un médecin, aux proches)
En se mobilisant dans l’action (trouver des alliés, dénoncer le harceleur, se documenter sur le sujet, écrire, méditer, faire de l’exercice)
En se solidarisant (sortir de l’isolement, avoir recours aux ressources du milieu : programme d’aide aux employés, syndicat, CLSC, groupes d’entraide, d’appartenance)
Comment en sortir pour que le Moi profond émerge en toute liberté ?
Comment retrouver sa liberté d’être au travail comme ailleurs ?
Il me paraît essentiel d’abord de définir ce qu’est le triangle
Bourreau–Victime-Sauveur. Il s’agit d’un mécanisme de survie inconscient qui prend souvent racine dans l’enfance lorsqu’il y a eu maltraitance et négligence. Ce scénario émotionnel apparaît pour permettre à l’enfant de survivre à la souffrance. Grâce à cette stratégie, il peut faire face à l’insécurité, à la trahison, à l’abandon et au rejet.
A l’âge adulte, ce mécanisme n’est plus approprié. Cependant, parce qu’il reste présent non pas dans le souvenir mais dans la mémoire affective, il est réactivé inconsciemment par des états intérieurs à travers des situations de pouvoir actives du triangle. Ces états intérieurs refont surface lorsque l’individu vit une peur viscérale du rejet, de l’abandon ou de la trahison qui le plonge inconsciemment dans les souffrances de l’enfance.
Ce schéma répétitif fausse, entre autres, les rapports avec les figures d’autorité symboliques (gouvernement, police, magistrature) et réelles (professeur, formateur, employeur, supérieur hiérarchique).
Il se caractérise par un profond sentiment d’impuissance, de colère qui entraîne des états dépressifs sévères, souvent accompagnés de violence et de pulsions morbides. Il fausse également la donne dans les rapports amoureux et toute relation affective importante car ces personnes développent des troubles anxieux et des troubles de l’attachement. Leurs difficultés relationnelles vont de la co-dépendance à la peur de l’engagement en passant par les « relations à tout prix » où l’individu est prêt à tout pour ne pas vivre à nouveau la souffrance d’abandon, de rejet ou de trahison. De plus, il a développé une seconde nature qui le met en état d’hyper vigilance car il croit vivre dans un monde plus hostile qu’il ne l’est en réalité.
Ce système relationnel n’est pas statique. En effet, pour obtenir ce qu’il veut, l’individu emprunte tour à tour le rôle de la victime, du sauveur ou du bourreau. Tant que ce système lui permet de contrôler son environnement, il n’en sort pas de lui-même. Mais, il y a un mais ; il n’y a pas de liberté dans ce système relationnel qui retient l’individu prisonnier d’un vécu souffrant dont il n’est même pas conscient. Il se construit, au fil du temps, une forteresse, un personnage qui, croit-il, le mettent à l’abri de la souffrance, du rejet, de l’abandon. Ce faisant, il tourne aussi le dos à la vie, au bonheur.
Avant d’en prendre conscience, il « tourne en rond » pendant plusieurs années au cours desquelles il accumule les échecs relationnels et professionnels. Même s’il pressent un moi plus épanoui, plus heureux auquel il aspire, il n’y parvient jamais. La répétition des mêmes situations souffrantes au travail et dans l’intimité l’incite soit à s’isoler et à s’enfoncer davantage, soit à demander de l’aide car sa vie est devenue un véritable enfer.
Pour en finir avec le trio infernal bourreau-victime-sauveur
Afin d’aider l’individu à transformer son impuissance et sa colère en actes créateurs vers l’incarnation de son MOI profond, est proposé une éthique de vie qui s’applique à toutes les sphères de l’activité humaine. En d’autres mots, l’intégrité est la meilleure des protections contre toute forme de débordement. Être honnête et loyal avec soi-même et être capable de répondre de ses actes est l’engagement de toute une vie. C’est aussi chacun sa mission, qu’on le veuille ou non, qu’on l’accepte ou non, c’est la clé de voûte pour bâtir un monde plus humain, un monde meilleur.
Pour y arriver, l’individu doit faire face à son passé. Par cette démarche, il, elle, apprend à « re-contacter » le vécu en souffrance, à l’exprimer parfois depuis l’époque de son enfance. Peu à peu, il prend ou reprend sa juste place parmi les siens et aussi dans le monde du travail.
Une « remise en ordre » est possible dans le cadre d’une démarche thérapeutique ciblée où le système dysfonctionnel avec ses mécanismes de défense, ses déclencheurs, ses besoins psychiques insatisfaits apparaissent dans toute leur clarté. Un éclairage nouveau redonne à chacun sa juste part de responsabilités en respect de soi et des autres, en sa capacité à établir des limites claires, à accepter et à respecter celles des autres.
L’objectif premier est d’aider l’individu à cheminer vers son identité véritable et à la création de son projet de vie.